Élever pour s’élever

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Lorsque je suis devenue maman pour la première fois, ce qui m’a le plus frappé, c’est combien la réalité de ce que je vivais était éloignée de ce que je m’étais représenté. Éducatrice spécialisée de formation initiale, j’avais engrangé des savoirs psychologiques, sociologiques et psychopédagogiques. J’avais travaillé auprès d’enfants, de parents, j’avais confronté ma pensée en réunion. Je me sentais préparée, armée. J’étais prête. Je savais.

Toutes ces théories ne résistèrent pourtant pas à l’épreuve de ma parentalité. 

Non, je n’arrivais pas à comprendre les trop nombreux cris de mon enfant. Non, je n’arrivais pas à le sécuriser dans mes bras. Non, les gestes de la maternité ne me venaient pas naturellement. Et non, m’occuper de mon enfant n’était pas “que du bonheur”. 

Lorsqu’il a grandi, je ne comprenais pas non plus pourquoi, en dépit de toute mon application à mettre en œuvre les théories éducatives dites « bienveillantes » ou « positives », les choses ne fonctionnaient pas. Pourquoi les enfants des autres me semblaient-ils si sages quand le découragement me gagnait de jour en jour face à la complexité de l’éducation de mes enfants ? Combien de fois ai-je douté de mes choix éducatifs ? De mes capacités de mère ? Et même de ma capacité à suffisamment aimer mon enfant ?

J’ai découvert que la maternité était intense, exigeante, et terriblement épuisante. J’ai découvert ma sensibilité au regard des autres qui venait compromettre des choix que je pensais assumés. J’ai découvert que je redoutais d’être jugée ou que l’on m’oppose un modèle plus « efficace ». Pourtant, une fois dans ma bulle, coupée du monde, j’assumais un peu plus les colères et autres manifestations des frustrations de mes enfants. Je misais, en quelque sorte, sur un avenir plus serein, où les bases bienveillantes que je revendiquais feraient de mes enfants des adultes équilibrés et épanouis. 

Mais j’étais aussi tiraillée entre le respect de mon enfant et celui de mes propres besoins, car j’étais épuisée et parfois sacrément malmenée par la lourdeur d’un tel choix éducatif.

Comment faire alors pour changer de paradigme et ne plus percevoir l’éducation comme une contrainte, mais comme une merveilleuse occasion de m’élever en élevant mes propres enfants ? En allant creuser du côté des besoins (les miens, ceux des autres) j’ai trouvé les réponses qui accompagnent aujourd’hui ma parentalité. 

Je ne dirai pas que l’éducation est un jeu d’enfant, ou que mon approche révolutionnera définitivement votre vie de parents, mais j’espère que comme pour moi, elle vous permettra d’avancer, et de vous aimer plus, et mieux. Vous continuerez peut-être d’être épuisés ou de douter, mais vous aurez de plus en plus d’occasions de constater la force et la beauté de la relation que vous aurez réussi à construire avec vos enfants, et combien celle-ci favorisera leur construction harmonieuse.

Les besoins en question(s)

Nous avons tous eu à constater à un moment ou à un autre combien il est difficile de prendre soin des autres lorsque nous sommes nous-mêmes tendus. Et combien l’accueil des émotions de nos enfants, à certains moments, nous parait inaccessible. 

Lorsqu’ils ne sont pas pris en compte, nos besoins peuvent en effet se grimer sous les traits d’un stress diffus ou latent dont nous n’avons pas toujours conscience. Ils peuvent par ailleurs se traduire par des comportements peu adaptés, rigides ou maladroits. 

Prendre conscience de nos besoins est une étape fondamentale. 

Prenons un exemple.

Il est 8h15, ça fait 4 fois que son père demande à Julien d’aller mettre ses chaussures. La famille s’est réveillée à l’heure, le petit déjeuner a été pris dans les temps, les habits sont enfilés, le brossage de dent est effectué : pourquoi Julien fait-il en sorte que les choses se passent mal quand tout aurait pu être si simple ?

Cette fois c’en est assez, son père lance un : « Mais ce n’est pas possible d’être aussi empoté, je passe mon temps à t’attendre, on va encore arriver après la sonnerie, et je vais être en retard à mon travail ! »

Essayons de mettre cette scène sur pause et observons : que se passe-t-il réellement ?

Dans cette scène de vie quotidienne, tout était réuni pour que le départ à l’école se passe bien. L’enfant avait fait ce qu’il avait à faire, la famille était dans les temps, jusqu’à la bascule de la mise de chaussures. 

Pourquoi Julien fait-il rager son père et quel intérêt peut-il bien y trouver ?

Considérant que cet enfant n’a pas, a priori, d’intention mauvaise, que cherche-t-il à exprimer par ce comportement ?

Essayons d’affiner : A 8h10, il ne reste à Julien que ses chaussures à enfiler. Son père profite des 5 dernières minutes pour finir de ranger la cuisine avant le départ de la maison. C’est précisément ces cinq minutes d’inattention qui vont faire basculer l’ambiance de ce matin. 

Mais que se passe-t-il du côté du parent ?

Monsieur J., le père de Julien, est seul pour finaliser les préparatifs et quitter le domicile pour la journée. Son épouse est partie plus tôt, et a déposé le petit frère à la crèche. Il laissera l’appartement à 8h15 en emmenant son fils à l’école. Dans un cours laps de temps, il doit finir de se préparer, de préparer son fils et de ranger la cuisine. 

Il ne peut pas se permettre d’être en retard à l’école, qui le mettrait en retard à son travail. Il souhaite par ailleurs que la cuisine soit dans un état correct à son départ. Il a besoin que les choses soient efficaces.

De son côté, Julien a été parfaitement efficace. Il était prêt à l’heure pour partir à l’école dans de bonnes conditions. Et il ne lui aura manqué que les cinq petites minutes d’attention que son père n’aura pas pu lui offrir avant la séparation de la journée. 

Dans cette scène, on comprend finalement que Julien a besoin de son père et que son père a besoin d’efficacité. Monsieur J., pris dans son stress de tout réussir à gérer dans les temps ne peut entendre le besoin de son fils : partager les cinq dernières minutes avec son père qu’il va quitter pour la journée. 

Cet exemple, à quelques variantes près, nous l’avons tous plus ou moins vécu. Comme nous avons tous, du fait de notre stress, de nos contraintes ou des exigences que l’on s’impose, fait basculer un moment agréable, maugréant contre nos enfants si peu conscients de nos rythmes d’adultes. 

Ce constat est cependant fort instructif pour tout un chacun :

D’une part, parce qu’en subissant nos agacements, nos égarements, nos enfants sont confrontés à nos imperfections, nos limites, et apprennent que les adultes sont aussi des êtres sensibles, pourvus de besoins. 

D’autre part, et de notre place d’adulte, si tant est que nous postulions sur la bonté de nos enfants, nous en tirerons les leçons pour continuer d’apprendre à mieux vivre ensemble et à déterminer nos priorités. Nous apprendrons ainsi à peu à peu privilégier un bon lien avec eux plutôt qu’à avoir une table bien lavée, par exemple.

 

Thomas Gordon, auteur d’un programme éducatif basé sur le respect mutuel des besoins, introduit sa philosophie éducative de la manière suivante :

« Toi et moi vivons une relation que j’apprécie et que je veux sauvegarder.
Cependant, chacun de nous demeure une personne distincte ayant ses besoins propres et le droit de les satisfaire.
Lorsque tu éprouveras des problèmes à satisfaire tes besoins, j’essaierai de t’écouter, de t’accepter véritablement, de façon à te faciliter la découverte de tes propres solutions plutôt que de te donner les miennes. Je respecterai aussi ton droit de choisir tes propres croyances et de développer tes propres valeurs, si différentes soient elles des miennes.
Quand ton comportement m’empêchera de satisfaire mes besoins, je te dirai ouvertement et franchement comment ton comportement
m’affecte, car j’ai confiance dans le fait que tu respectes suffisamment mes besoins et mes sentiments pour essayer de changer ce
comportement qui m’est inacceptable. Aussi, lorsque mon
comportement te sera inacceptable je t’encourage à me le dire ouvertement et franchement pour que je puisse essayer de le changer.
Quand aucun de nous ne pourra changer son comportement pour
satisfaire les besoins de l’autre, reconnaissons que nous avons un conflit ; engageons-nous à le résoudre sans recourir au pouvoir ou à l’autorité pour gagner aux dépens de l’autre qui perdrait. Je respecte tes besoins et je dois aussi respecter les miens. Efforçons-nous de toujours trouver à nos inévitables conflits des solutions acceptables pour chacun de nous. Ainsi tes besoins seront satisfaits, et les miens aussi. Personne ne perdra, nous y gagnerons tous les deux.
De cette façon, en satisfaisant tes besoins tu pourras t’épanouir en tant que personne et moi de même. Nous créerons ainsi une relation où chacun pourra devenir ce qu’il est capable d’être. Et nous 4 pourrons poursuivre notre relation dans le respect et l’amour mutuels et dans la paix. »

Reprenons notre saynète du matin d’école, et voyons comment nous pourrions lui trouver une issue plus heureuse :
Il est 8h10, Monsieur J. demande à Julien d’aller mettre ses chaussures. Julien ne réagit pas, il sifflote, feuillette un magasine.
Monsieur J. sent la colère monter, il doit encore laver la table de la cuisine et son fils ne semble pas du tout coopérer.
Il respire et observe ce qu’il se passe en lui : il se sent stressé, il n’a pas encore fini de faire ce qu’il a à faire et a peur d’être en retard.
Il choisit de l’exprimer.
« Mon chéri, je dois absolument finir de nettoyer la cuisine et de me préparer et l’heure tourne, j’ai peur d’être en retard. Est-ce que je peux compter sur toi pour mettre tes chaussures rapidement ? »
Julien ne réagit toujours pas.
« Bon, visiblement, toi, tu as besoin que je sois avec toi. Est-ce cela que tu cherches à me dire ? »
Cette fois, Julien réagit : « Tu ne t’occupes jamais de moi ! » Monsieur J. bien centré sur les émotions, interprète l’accusation de son fils, et propose une solution prenant en compte les besoins de chacun :

« Mon garçon, nous n’avons pas le temps ce matin pour discuter de cela, mais je te promets que ce soir, après l’école, nous prendrons un temps juste tous les deux. Est-ce que ça te va ? ».

Julien enfile ses chaussures, père et fils empruntent le chemin de l’école, détendus.

***

Ainsi, comme pour le père de Julien, il va s’agir d’apprendre à repérer les priorités que nous souhaitons établir pour tenter de garantir et préserver le lien à nos enfants sans toutefois nous oublier.
Mais parfois aussi, parce que nous sentons que nos limites sont trop entamées, il devient nécessaire de poser explicitement le différend en exerçant son autorité.

Mais c’est quoi, l’autorité ?
Dans sa première définition 1 , l’autorité est un « droit de commander, pouvoir (reconnu ou non) d’imposer l’obéissance ». Dans cette définition, l’autorité s’inscrit donc dans une relation asymétrique où l’adulte, pour assurer sa responsabilité éducative, exerce son pouvoir sur l’enfant. Elle permet d’obtenir des résultats rapides, visibles (obéissance, ordre, cohésion).

Elle empêche toutefois une réelle émancipation du sujet (capacité de penser son action avant d’agir, de développer son esprit critique, d’intégrer la notion de collectif, etc.), et peut susciter des comportements de rébellion, de soumission, de fuite, de violence. Pour éviter cet écueil, il existe une voie alternative, qui propose un modèle cherchant à préserver la vitalité tout en limitant ses débordements incontrôlés : l’autorité éducative.
Pour être éducative, l’autorité que nous exerçons doit chercher à prévenir la violence mais également à développer les qualités constitutives de l’enfant. Pour ce faire, elle va s’appuyer sur les ressources dont il dispose (capacité à émouvoir, à se rendre aimable, conscience de soi et de l’autre, capacité à parler de soi et à élaborer sa propre pensée) pour encourager la connaissance de soi, poser des limites de façon ferme et respectueuse et faciliter les relations de coopération. 

C’est en encourageant le processus de socialisation de notre enfant que nous le conduisons à prendre soin de lui et des autres. En lui apprenant à aider les autres, il va prendre confiance en lui car il se sentira utile, aimé, apprécié. Plus il aura l’occasion de créer des liens d’entraide, plus il se sentira appartenir à l’humanité. Et c’est de cette conscience que naît sa responsabilité.
Ainsi, dans notre exemple, parce qu’il aura eu le sentiment d’être entendu par son papa pressé mais aussi parce qu’il aura aussi été confronté explicitement aux besoins de son père, Julien pourra peut-être, un jour, proposer spontanément son aide pour ranger la cuisine lors d’un matin pressé. Et il aura alors trouvé, par lui-même, une solution lui permettant de partager un moment agréable et constructif avec son père.

***

L’éducation est une activité humaine complexe, comportant des enjeux de taille tant dans sa dimension individuelle que collective. En tant que parent, nous sommes confrontés à des influences puissantes, issues de nos familles, nos amis, notre histoire.
En apprenant à repérer, accueillir, et exprimer nos émotions respectives, en changeant notre regard sur les difficultés que nous rencontrons avec nos enfants, en les accompagnant sur la voie de l’émancipation, nous apprenons à sortir de l’ignorance, de la peur et du rapport de force. Nous exerçons alors une autorité fondée sur la connaissance, le respect de soi et de l’autre.

Ainsi, en guidant nos enfants en connaissance de nos failles mais aussi de nos forces, en acceptant nos fragilités et notre vulnérabilité, nous leur offrons un modèle d’humanité riche favorisant la confiance, l’ouverture, la créativité, l’esprit critique, la bienveillance, et toutes ces valeurs qu’on l’on souhaite leur transmettre avant qu’ils ne prennent définitivement leur envol.

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